Réforme du RSA : pour une abrogation pure et simple

Dans le cadre de la « loi pour le plein emploi » mise en place au premier janvier 2025, les allocataires du RSA sont à présent soumis·es à un « accompagnement rénové », selon les termes du gouvernement, concrétisé par « quinze à vingt heures d’activité hebdomadaires ». Il s’agit là en réalité d’un « contrôle renforcé » dont le but est tout à la fois de faire baisser le nombre d’allocataires du RSA par l’augmentation du non-recours aux droits1 et des radiations, mais aussi d’ouvrir une nouvelle voie vers le travail gratuit et sans protection sociale adéquate. C’est enfin une occasion de stigmatiser une fois encore les bénéficiaires des minimas sociaux, en les infantilisant sans chercher à prendre en compte leurs conditions d’existence. Comme le rappelle la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) l’accès aux prestations sociales ne doit pas être conditionné à la réalisation de « devoirs ». La CNDCH a d’ailleurs précisé en décembre 2024 que « la réforme actuelle fait courir plusieurs risques aux droits des personnes, notamment celui du droit à des « moyens convenables d’existence » prévu dans le Préambule de la Constitution de 1946 et celui du droit à « une insertion sociale et professionnelle librement choisie » inclus dans la Charte sociale européenne ».

État des lieux

En tant qu’artistes-auteur·ices, nous ne connaissons que trop bien les difficultés auxquelles sont confronté·es les allocataires du RSA, puisque, privé·es d’assurance-chômage, les artistes-auteur·ices ont massivement recours à cette allocation pour assurer leur subsistance durant les périodes sans revenus, qui ne manquent pas dans nos professions par essence précaires. Or, les artistes-auteur·ices n’ont pas besoin d’un accompagnement, rénové ou non, et encore mois d’une obligation d’exercer « quinze à vingt heures » d’activité : ils et elles en ont déjà une. C’est pourquoi nous rappelons une fois encore que la solution serait l’ouverture de droits au chômage, à travers une continuité de revenus, proposition que nous portons avec d’autres organisations professionnelles2.

Mais les artistes-auteur·ices ne sont pas le seul·es bénéficiaires du RSA déjà en activité : les agriculteur·ices ont également massivement recours au RSA, car leur travail ne leur garantit pas de revenus suffisants. On se demande dans quelle mesure quinze à vingt heures d’activité hebdomadaires leur permettrait de les améliorer. On peut par ailleurs évoquer les personnes travaillant sous le statut plus ou moins choisi de l’auto-entreprise.

Nous refusons toutefois de nous prêter à un jeu qui consisterait à séparer les allocataires méritant·es des autres. Commençons par rappeler que le montant du RSA « socle », même si l’on y ajoute celui de l’aide au logement, est en dessous du seuil d’extrême pauvreté, fixé en France à 811 € par mois. Dans ces conditions, le quotidien est tourné vers la survie et le temps déjà très occupé par de nombreuses activités non-marchandes et pourtant essentielles souvent dans le cadre de solidarités locales. Beaucoup sont aidant·es, bénévoles, femmes dites « au foyer » et accomplissent « un boulot de dingue » comme le souligne le titre du rapport publié par le Secours Catholique et Aequitaz qui s’est intéressé aux personnes bénéficiaires des minimas sociaux et à leurs activités « hors emploi ».3

Ajoutons qu’un grand nombre d’allocataires du RSA souffrent de problèmes de santé souvent causés par des métiers difficiles dans les secteurs dits « en tension » et quel que soit l’accompagnement, leur retour à l’emploi n’est tout simplement pas possible. Pour s’en convaincre, il suffit de savoir qu’un quart des « sorties » du RSA se font vers l’allocation adulte handicapé (AAH). 

Enfin, il est illusoire de croire que la défiance, la stigmatisation et la pression permanente à devoir « justifier » son droit aux minimas sociaux pourrait aider qui que ce soit à sortir de la pauvreté. Au contraire, cela ne fait qu’augmenter les non-recours et les radiations, comme le montrent les résultats de « l’expérimentation » du RSA conditionné qui a été menée dans plusieurs départements avant l’élargissement à tout le territoire. D’après un rapport d’ATD Quart Monde, dans les départements qui ont expérimenté la réforme, on constate en moyenne une augmentation du non-recours de 10,8 %. Au non-recours, s’ajoutent les radiations, comme en Côte d’or où depuis le début de l’expérimentation, elles ont augmenté de 14 %. 

Moins de droits, plus de sanctions

On le sait, cette réforme permettra avant tout de faire baisser mécaniquement le nombre d’allocataires du RSA, pas parce que ces personnes auront changé de situation professionnelle, mais simplement parce qu’elles auront été radiées ou découragées de demander cette allocation. On notera d’ailleurs que les personnes ont largement recours au RSA dans des territoires où le taux de chômage est également très élevé.

Et dans un monde imaginaire où un accompagnement adéquat suffirait à permettre aux personnes de retrouver un emploi, il faudrait de toute façon pour cela des moyens. Or, tandis que cet « accompagnement renforcé » demanderait des moyens supplémentaires, la suppression de 500 postes se dessine à France Travail et le recours à l’intelligence artificielle pour recevoir les nouveaux allocataires se met en place. Dans ces conditions, comment croire à la fable gouvernementale d’une volonté d’aider les bénéficiaires du RSA à trouver ou retrouver un emploi ?

Encore une fois, avec cette « loi pour le plein emploi » le gouvernement voudrait faire peser sur les individus le poids de leur situation : il enjoint aux allocataires de « faire des efforts » et surtout de le prouver, tout en passant sous silence les responsabilités des entreprises ou des collectivités. 

Enfin, une mise au travail gratuit des pauvres semble bel et bien se profiler. Lors de l’expérimentation, par exemple, on relèvera le cas de la commune de Villers-en-Vexin, dans l’Eure, où quatre allocataires ont végétalisé le cimetière pour pouvoir continuer à toucher leur RSA. De son côté, France Travail a inclus dans les contrats d’engagement de certain·es allocataires des programmes d’immersion professionnelle en entreprise, qui peuvent durer jusqu’à un mois. Du travail gratuit et qui n’a donné lieu au versement d’aucune cotisation.

Alors que le gouvernement avait mis la lutte contre l’extrême pauvreté parmi ses priorités, cette réforme va au contraire y jeter encore plus de personnes.

Pour toutes ces raisons, nos revendications ne peuvent se limiter à un aménagement de l’application de cette réforme en faveur des artistes-auteur·ices ou d’autres catégories, nous demandons son abrogation pure et simple pour toutes et tous.4

  1. D’après la DRESS 34% de non-recours au RSA, soit 3 milliards par an (c’est déjà pas mal) https://solidarites.gouv.fr/le-non-recours-aux-prestations-sociales-en-france-et-en-europe ↩︎
  2. https://continuite-revenus.fr ↩︎
  3. https://www.aequitaz.org/boulot-de-dingue/ ↩︎
  4. En attendant l’abrogation de cette réforme inique, nous partageons ce lien vers un guide d’auto-défense élaboré par un collectif brestois : https://coordbrest.noblogs.org/post/1096/ ↩︎


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